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EndlessStory

2 mai 2006

Je suivais Solange à travers les buissons qui

Je suivais Solange à travers les buissons qui longeaient la clôture du lycée. C’était une journée plutôt ensoleillée pour un mois de décembre. Nous passâmes juste sous les fenêtres de Madame Linardt, mon professeur d’Histoire. Je jubilais à la pensée qu’elle allait débuter un cours auquel je ne participerai pas. Nous glissâmes discrètement le long du grillage jusqu’à un large entrebâillement au travers duquel nous nous faufilâmes. Nous étions enfin libres. Je regardais le soleil qui commençait déjà sa lente disparition derrière les frontières de l’horizon et je me sentais revivre. Je fermais les yeux un instant et pris une profonde inspiration pour me délecter de ces derniers rayons, plus assez chaud pour me réchauffer le corps mais bien assez pour ranimer mon cœur. Lorsque je les rouvris, je constatais que Solange me regardait intensément. Un peu gênée, je dis :
      - Et maintenant ?
      - Et maintenant tout dépend de ce que tu veux faire.
      - Je n’en ai pas la moindre idée.
      - C’est la première fois que tu sèches un cours ?
Et-ce que cela se voyait tant que ça ? Je n’étais pas une élève assidue mais je n’avais jamais osé m’enfuir de la sorte, je craignais trop les remontrances de mon père.
      - Oui, répondis-je en baissant les yeux.
      - Et bien en ce cas, suis-moi !
Ma complice me saisi la main et m’entraîna dans une nouvelle course folle. L’avantage de ce petit lycée était qu’il était entouré de nombreux champs de maïs. Disparaître était si simple que je me demandais pourquoi les autres élèves restaient sagement assis sur leurs bancs. Solange ne s’arrêta pas avant d’avoir traversé le premier champ. Lorsqu’elle ralenti la cadence, je compris où elle m’amenait. A cent mètres de là, se dressait un petit bois dont je n’avais jamais constaté l’existence auparavant. Toujours sans lâcher ma main, Solange s’enfonça dans l’obscurité des arbres. Je n’osa pas lui demander jusqu’où elle me mènerait et me contenta de la laisser me guider.
Nous ne mirent pas longtemps à regagner un groupe de personnes dont les visages ne m’étaient pas inconnus.
       - Ah Solange ! Tu as réussi à la convaincre ? Bravo, je n’y aurais pas cru !
Je reconnu le fameux Gautier de la bibliothèque.
      - Moi je savais qu’elle aurait envie de souffler un peu, répondit la jeune fille. Les gars, je vous présente Emma.
Chacune des quatre autres personnes présentes me salua.
      - Emma, voici Gautier, Thibaud, Matthieu et Josselin.
Ils étaient tous affairés à couper des branches et à les rassembler en un petit tas.
      - On a pour habitude de venir ici le soir après les cours, reprit-elle. Et… de temps en temps pendant les cours aussi, comme tu as pu le constater.
      - Tu es sûr que c’est une bonne idée de lui dire tout ça So ? dit le dénommé Thibaud. Et puis de l’avoir ramenée ici, je ne suis pas persuadé que c’était très malin non plus. Qui te dit qu’elle ne va pas aller raconter ça aux profs ou au proviseur, hein ?
      - Je ne crois sincèrement pas qu’elle le fera, reprit la douce Solange m’adressant un de ses apaisants sourires.
       - Je sais qu’elle ne parle pas mais tout de même…
       - Détrompe toi mon cher, Emma sait parler, et sans doute mieux que toi.
A ces mots, les quatre corbeaux relevèrent les yeux en ma direction. A nouveau je ressenti un inconfortable malaise. Comme il est douloureux de faire ses premiers pas dans le monde social.
       - Et lorsque tu auras quelque chose d’intelligent à lui dire, sans doute qu’elle te répondra ! reprit Solange.
Je n’en revenais pas. Cette fille semblait lire en moi. Elle avait repéré mon inconfort et avait immédiatement trouvé comment y parer. J’étais comme assistée dans ma phase de socialisation. Que rêver de mieux ?
Comme contentée de cette réponse, la bande se remit au travail. A mesure que les minutes passaient, je me sentais mieux. Il y avait une franche ambiance de camaraderie entre eux, et pour la première fois et même pour un court instant, j’étais heureuse d’en faire partie.
En plus de rassembler des branches pour ce que j’avais deviné être un feu, ils étaient entrain de lier entre eux divers morceaux de bois. Ma curiosité l’emporta alors.
       - Qu’est ce que vous faites au juste ? demandais-je à Solange.
A nouveaux les regards se posèrent sur moi, mais cette fois-ci, j’étais bien déterminée à les affronter. J’observais tour à tour mes interlocuteurs. Finalement, ce n’était pas si intimidant que cela. J’avais même l’impression d’avoir inversé la situation car ils affichaient tous un air bien plus ahuri que le mien.
       - En authentiques hommes virils qu’ils sont, railla Solange, les garçons ont décidé de construire une cabane dans les arbres.
      - Et en véridique petite peste, So aime se moquer de ses frères, repris Gautier sur le même ton taquin.
       - Ses frères ? dis-je d’un air surpris.
      - Nous nous connaissons tous depuis si longtemps que nous sommes devenu comme une famille. Nous avons grandi et changé ensemble, nous avons partagé de nombreuses choses... Mais aucun d’entre eux n’est véritablement de ma famille, expliqua Solange avant de se remettre au travail.
Je me demandais quelles sortes de choses ils avaient bien pu partager. Moi-même j’avais toujours fait mes propres expériences toutes seule. J’enviais Solange d’avoir une telle complicité avec autant de personnes. Je m’égaras dans mes pensées lorsque je constata que celui des garçon qui s'appelais Josselin ne m’avait pas lâché des yeux. Je me senti alors étrangement troublée. Ce fut un sentiment nouveau. Mon ventre sembla se nouer de l’intérieur et mon souffle se coupa.
       - Et euh… pourquoi vous habiller en noir de la sorte ?
Puisque j’étais lancée dans mes questions, autant continuer ! Au moins arriverais-je à détourner un tant soit peu l’attention de moi. Les cinq amis échangèrent de furtifs regards, puis ce fut Gautier qui prit la parole.
       - C’est un choix que l’on a fait au collège. Mais on te racontera ça une autre fois. Peux-tu m’aider à allumer le feu s’il te plait ? demanda-t-il.
Je m’exécutais. Je n’avais pas la moindre idée de la manière dont il fallait procéder. J’observais avec beaucoup d’attention et me contentais d’obéir aux requêtes de mon improvisé professeur en démarrage de feu. J’avais l’impression de tout faire de travers. Gautier m’assurait cependant du contraire. Au bout de dix minutes d'efforts, un joli feu brûlait au centre du cercle que nous avions formé. Nous nous assîmes en silence autour de notre œuvre et je me perdis un instant dans la danse hypnotique des flammes.
      - Tu viendras demain soir ? me demanda une petite voix qui me sorti de mes songes.
      - Moi ?
      - Oui, comme je te l’ai dit nous venons ici tous les soirs. C’est l’occasion de passer un peu de temps ensemble en dehors des cours.
      - Je… je ne sais pas encore. D’ordinaire je rentre tout de suite après les cours.
Soudain, je pris conscience que la nuit était tombée. J’eu un sursaut qui me dressa sur mes pieds.
      - Mon Dieu, quelle heure est-il ? demandais-je catastrophée.
      - Il va être dix-huit heures trente, me répondit Matthieu.
Je réalisais que les cours étaient finis depuis une demie heure et que je n’étais toujours pas en route pour chez moi. J’allais être terriblement en retard. Je saisi mon sac avant de dire :
      - Je suis désolée, je dois vous laisser.
      - Tu t’en vas déjà ? me demanda Solange d’un air déçu.
      - Oui, tu ne comprends pas je suis en retard !
      - Laisse nous au moins t’accompagner, dit Gautier.
      - Non !
Ce "non" retenti plus fort que je ne l’aurais voulu. Il est certain que si mon père me voyait arriver en retard et accompagnée d’une bande de cinq jeunes vêtus de noir, j’allais devoir passer toute la soirée à m’expliquer et le reste de ma vie enfermée dans ma chambre. Je tentais de me calmer pour cacher mon désarroi.

      - Non, c’est gentil mais j’irai plus vite en courant, dis-je.
      - Tu es sûre ?
      - Oui, merci.
Je m’apprêtais à partir quand je me retourna une dernière fois vers mes nouveaux compagnons et leur dit à nouveau :
      - Merci.
Après quoi je couru du plus vite que je pu jusque chez moi.

J’espérais que personne ne remarquerait mon retard. Et bien étrangement, lorsque je retrais ce soir là, papa et Magali étaient en grande discussion avec la voisine. Il me serait donc plus facile de monter discrètement dans ma chambre et prétendre y avoir été depuis toujours. Je me faufilais délicatement jusqu’aux escaliers que je gravis à pas de loups pour enfin arriver à ma chambre promise. Je m’avachi sur le lit, pour savourer mon furtif soulagement. Evidement, les choses auraient été plus simple si je n’avais eu pour demi-frère un horrible petit cancrelat dont le but ultime de l’existence était de me voir punie par sa très précieuse mère.
      - C’est à cette heure-ci que tu rentres ?
Je me relevais brusquement.
      - De quoi je me mêle ? Sors de ma chambre !
      - Tu ferais mieux de me parler sur un autre ton si tu ne veux pas que j’aille raconter à papa et maman que tu viens tout juste de rentrer !
      - Nous savons tous les deux que tu le feras de toute manière, alors peu importe. Sors de ma chambre maintenant.
      - C’est vrai, je le ferais de toute façon.
S’il existait quelque part un classement des dix personnes les plus exaspérantes au monde, Jérémy figurerait sans aucun doute en tête de liste. A peine l’avais-je prié de quitter les lieux que déjà il vint s’asseoir à mes côtés sur le lit. Après les émotions de la journée je ne rêvais que d’une chose, m’allonger et me retrouver seule avec moi-même pour faire le point.
      - Quoi encore ? demandais-je d’une voix lasse.
      - Où tu étais ?
Je décidais de ne pas répondre à l’importun. Le grand avantage avec Jérémy est qu’il perd très vite patience.
      - T’es aller recommencer tes conneries, hein ?
Silence de mort. Je décidais d’avoir recours à l’une des occupations détestées de mon petit frère : étudier. Je m’assis à mon minuscule bureau et ouvrit le premier livre de cours qui me tomba sous la main. Par chance, il s’agissait du manuel d’histoire, l’une des matières que Jérémy trouvait les plus repoussantes. Il ne mit pas longtemps à décamper.
      - De toute façon je vais le dire. Dit-il en fermant la porte de ma chambre.
Enfin seule. J’abandonnais mes cahiers pour m’allonger à nouveau sur le lit. Résumons. En l’espace de quelques heures j’avais ressentis un dégoût des autres m’ayant menée au bord du vomissement et un désir d’amitié tel que je n’en avais jamais ressenti. Deux sentiments si diamétralement opposés et pourtant si présent en moi en cet instant. De par le bon comme le mauvais aspect de cette journée, je me sentais vivre.

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26 avril 2006

Comme je me l’étais imaginé, cet événement allait

Comme je me l’étais imaginé, cet événement allait bouleverser le cours de ma petite vie scolaire. Jamais je ne m’étais imaginé pouvoir autant attirer l’attention. Jamais je n’eus douté que je pusse être un sujet captivant au point de défrayer de fiévreuses rumeurs. Il est inquiétant de constater à quel point les informations se propagent vites, surtout dans un petit établissement où il ne se passait manifestement jamais rien d’exceptionnel. En l’espace de quelques heures, la nouvelle de mon génie littéraire avait fait le tour du lycée. "Elle ne sait pas parler mais elle écrit !" S’en suivirent aussitôt d’incroyables légendes à mon sujet. J’avais tour a tour le rôle de bizarrerie écrivant des textes que seuls les tordus d’esprit pouvaient composer, ou de prétentieuse intellectuelle qui cherchait à ménager ses effets en refusant la parole à ses condisciples. Je ne savais exactement de laquelle ces identités je préférais me vêtir. D’aucune sans doute. Mais ce que je savais déjà, c’était que ma si précieuse paix ne serait plus envisageable désormais.
         
Deux jours plus tard, alors que mon professeur d’anglais avait eu la merveilleuse idée d’être absent, je décidais de profiter des deux heures qui m’étaient accordées pour me rendre à la bibliothèque du lycée. Je m’étais installée à l’une des tables les plus à l’écart des autres élèves. La remarque de Monsieur Martino m’avait perturbée. Je décidais donc d’approfondir mes connaissances en genres et registres littéraires lorsque je découvris parmi les rayons, le recueil Les Fleurs Du Mal de Charles Baudelaire. J’en ouvris les premières pages et me laissa littéralement emporter par la lecture, oubliant le monde qui m’entourait. Je découvris que les mots ont parfois une réelle puissance. Certaines de ces compositions me transpercèrent le cœur tant je cru m’y reconnaître.
         
         
Espérer passer inaperçue parmi des étudiants se connaissant déjà par coeur est un bien vain dessein, à plus forte raison lorsque vous êtes le sujet de discussion favori du moment. Arriva ce qui devait arriver. Un élève de l’autre classe de première L du lycée, la 1L1, et que je ne connaissais pas le moins du monde, vint me trouver, escorté par deux de ses amis.
      
- Je suis perplexe, dit-il pour toute introduction de conversation.
Je détachais mes yeux du livre pour les pointer sur l’intrus mais ne répondis rien, espérant qu’il finirait par se décourager et disparaître. Mais ce stratagème ne paru pas fonctionner. Le jeune homme repris.
      
- Oui je suis perplexe. Vois tu, les 1L2 sont passés maîtres dans l’art des rumeurs infondées et je doute que celles te concernant puissent être exacte.
Je ne répondais toujours pas. Je n’avais cependant pas détourné mes yeux de mon interlocuteur. J’étais passée maîtresse dans l’art de déstabiliser par le regard. Personne ne semblait résister à l’imperturbabilité de mes yeux d’un bleu pastel. Après un instant de silence, l’importun repris la parole.
      
- Oui c’est bien ce qui me semblait… une fille qui ne parle pas n’est logiquement pas capable d’écrire un truc aussi complexe qu’un poème.
Raisonnement qui me paru d’un ridicule foudroyant. Qui d’autre, mieux qu’une personne ne s’exprimant jamais, serait mieux à même d’écrire les textes les plus emprunts de cette passion propice à la poésie ? Lorsque je prenais la plume, les barrières du silence tombaient, et tous les mots réprimés au fond de moi pouvaient alors librement, et sans retenue, se répandre sur le papier. C’était une autre de mes échappatoires. Si je n’avais eu peur que Magali ou papa ne découvre mes oeuvres j’aurais depuis longtemps écrit des tonnes et des tonnes de récits. Ma contrariété intérieure dû se lire sur mon visage, car mon interlocuteur afficha dès lors un petit sourire insupportable. Il reprit la parole.
      
- Certains disent que si tu ne parles pas, c’est que tu n’as pas de langue.
J’haussais un sourcil mi-amusé, mi-provocateur.
    
- Je m’appelle Michael, mais tu peux m’appeler Mika, dit le jeune homme en tendant une main amicale. Tu ne veux pas qu’on discute un peu tous les deux ? Histoire que je démantèle cette rumeur stupide ?
Mon visage criait "pour qui te prends-tu ? Penses-tu vraiment que je vais te faire cet honneur ?".
      
- Mouais, tu n’as pas l’air très décidée, repris Michael en retirant sa main. C’est dommage vois-tu, car moi j’ai tout mon temps. Plus longtemps tu mettras à te décider, plus longtemps tu devras supporter ma présence.
Cette situation commençait déjà à m’ennuyer. Et puis cette manière qu’il avait de dire "vois-tu" à chaque phrase, comme si en plus d’être muette j’avais été aveugle ! Tout en lui me crispait. Je décidais de faire le mur. Il finirait par se lasser avant moi.

Mais c
’était sans compter le degré de patience de mon interlocuteur. Ou plutôt, sans compter sa prodigieuse capacité à rendre tout ce qu’il faisait ou touchait d’un agacement au-delà du concevable. J’eus beaucoup de mal à contenir mon exaspération. Après pas loin de dix minutes d’immobilité, j’entrepris d’ignorer superbement l’intrus et de poursuivre ma lecture là où je l’avais interrompue. Mais Michael ne le voyait pas de cet œil. Il me prit brusquement l’ouvrage des mains sans que je ne pu faire quoi que ce fut. Se redressant en même temps que moi, il leva une main pour mettre le livre hors d’atteinte de mes petits bras. Il semblait à présent jubiler de son acte. Il était persuadé d’avoir trouvé moyen de parvenir à ses fins. Un plaisir qu’il eut du mal à dissimuler.
      
- Si tu veux le récupérer, ma belle, il va falloir me le demander de vive voix, vois-tu ?
Le bellâtre semblait ne pas revenir de la pertinence de cette situation et ne pouvait s’empêcher de sourire bêtement. Je rageais. C’était assez. Il m’avait suffisamment mené en bateau, l’heure était venue de quitter les lieux.
J’attrapa mon sac et entrepris de me diriger vers le couloir principal de la bibliothèque. Mais une fois encore, l’on interrompit mon entreprise. Michael me saisi brusquement le bras, forçant mon corps à effectuer un demi-tour qui m’arracha littéralement l’épaule et éjecta mon sac qui glissa au loin. Dans un même temps, ses acolytes, dont je compris soudain l’utilité, virent se positionner derrière moi, m’empêchant de gagner la sortie et dérobant, par la même occasion, la scène aux yeux des autres élèves. Je commençais à regretter de ne m’être installée plus près du bureau de la bibliothécaire. Si je n’avais été aussi bête, mes tourmenteurs ne m’auraient sans doute jamais abordée.
Michael ne m’avait toujours pas relâché le bras. Mon air troublé sembla lui donné de l’inspiration. Il me projeta alors énergiquement contre une étagère dont la surface bosselée pénétrera douloureusement ma chair. Je laissais échapper un cri de souffrance. J’étais désemparée, le peu de sentiment de confiance que j’avais ressenti ces derniers jours s’envola aussitôt. Comble de l’horreur, le son que ma bouche trahit eut un effet inattendu sur mon bourreau. Ce fut comme s’il prit soudain conscience de la supériorité de sa force sur la mienne. Il sembla savourer ma soumission au plus haut point. Son sourire amusé disparu alors. Il affichait désormais un air étrange et vide. Sa respiration se fit plus haletante, ses mains, plus brusques que jamais, se resserrèrent avec force autour de mes poignets que le jeune homme releva au dessus de ma tête comme s’il avait s’agit de vulgaires brindilles. Son visage n’était plus qu’à quelques centimètres du mien, je pouvais sentir son souffle sur ma peau tandis qu’il chuchotait :
    
- Est-ce bien un cri que j’ai entendu ?
Il resserra ses mains de plus belle et secoua à nouveau mon corps fragile contre le rayonnage, espérant ardemment m’extirper un nouveau son. Ma tête heurta l’étagère du haut en un bruit sourd. Je plissais yeux et lèvres pour m’empêcher de crier. Il avait dors et déjà gagné. Tant que je ne disais rien, mon corps était son objet. Si j’ouvrais la bouche, en revanche, il obtiendrait ce qu’il était venu chercher.
      
- Tu vas m’obliger à trouver la réponse par moi-même, dit-il.
En un quart de seconde, ses lèvres se retrouvèrent collées aux miennes et une langue épaisse et grossière forçait l’entrée de ma bouche. Je laissais échapper un nouveau cri d’effroi, étouffé par cet antre immense gobant tout sur son passage. A force de débattements, mes mains recouvrèrent leur liberté et me permirent de repousser mon agresseur un court instant. Nos lèvres se séparèrent, mais la force de mon adversaire était de loin supérieure à la mienne. Semblant amusé de me voir me débattre de manière si insignifiante, il s’empara à nouveau de mes poignets avec une facilité déconcertante. Tel un marionnettiste, il me fit faire un nouveau demi-tour qui m’immobilisa dos contre son torse. Il m’était impossible de bouger. Ma rage s’exerça dans le vide. Je me secouais, je griffais, je donnais des coups d’épaule et de tête, mais rien ne paru perturber le jeune homme. Je pu l’entendre humer mes cheveux avec un gémissement de délectation. J’en eus des frissons de dégoût dans tout le corps. En cet instant, j’eus donné n’importe quoi pour que cette situation cesse.

S’il est vrai que Dieu existe, Il choisi ce moment précis pour me le prouver. Sans que je ne comprenne comment, un groupe de cinq personnes habillées d’un noir ébène, firent irruption entre les étalages. Les deux gorilles de Michael qui semblaient se régaler de la scène autant que lui, s’écartèrent alors, pris au dépourvu, lorsque une voix grave raisonna.
      
- Lâche-là Michael.
L’intéressé sursauta et se retourna vers l’interlocuteur, toujours sans lâcher prise.
      
- Tien, Gautier, voyez-vous ça !
      
- Je te conseille de la lâcher immédiatement…
      
- Ou sinon quoi ? Tu vas invoquer Satan pour qu’il m’entraîne aux enfers ?
Il éclata d’un rire gras, suivit en cœur par ses deux acolytes. Mais les cinq corbeaux, eux, ne riaient pas. Leurs yeux cernés de noir criblaient les trois jeunes hommes. Il y avait dans leurs regards quelque chose de terrifiant qui sembla rapidement calmer les ardeurs de mes agresseurs. Je remarquais alors que mon tortionnaire desserrait inconsciemment son étreinte et j’en profitais pour me libérer. Je m’en écarta le plus possible, attendant avec raideur de voir ce qui allait suivre. Michael semblait furieux comme un chat à qui l’on aurait retiré la souris des pattes. Il n’osa cependant s’interposer à cette bande de jeunes aux allures bien inquiétantes.
      
- Qu’est-ce que tu croyais que j’allais lui faire, hein ? On s’amusait, rien de plus, il faut apprendre à te détendre mon vieux !
      
- Je ne prétends pas savoir ce qui se passe dans ta tête de tordu, "Mika", répondit la voix calme du dénommé Gautier, accentuant avec ironie le sobriquet ridicule de Michael.
J’observais la scène d’un air incrédule. Je ne savais guère si je devais être heureuse ou dépitée de la tournure des choses. Mon cœur battait si fort que, par réflexe, comme pour l’empêcher de jaillir hors de mon corps, je pressais ma main sur ma poitrine. Ma respiration ne recouvra pas son rythme normal. J’avais l’impression d’avoir couru un marathon. J’observais Michael s’éloigner, puis sortir de la bibliothèque, ses deux amis sur ses talons. Puis je constatais cinq paires d’yeux m’examinant méticuleusement. Sans attendre mon reste, je saisi mon sac et je couru hors de la bibliothèque, tout droit jusqu’aux premières toilettes dames venues.

Ì  Ì  Ì


            Je m’étais enfermée dans une cabine des waters, adossée contre la porte, me sentant prête à vomir à tout instant. Je ne pu empêcher des larmes de déborder de mes yeux et n’arrivais pas non plus à calmer les palpitations de mon cœur. Après quelques minutes de profondes inspirations où je tentais de retrouver contenance, je vis un paquet de mouchoir glisser sous la porte, juste entre mes pieds. Je restais figée quelques minutes, telle une proie qu’un vautour aurait repéré, attendant ma sentence avec une digne résignation. Une voix de l’autre côté m’adressa alors la parole.
      
- Tu peux le garder. Mais tu devrais sortir, tu vas finir par étouffer là dedans.
C’était une voix douce et suave qui me parut appartenir à une petite fille. Quelque peu rassurée par ce timbre ténu, je ramassa le paquet de mouchoir et en préleva un qui vint essuyer mes peines.
      
- Tu ne veux pas sortir de là ? Nous ne sommes que toutes les deux, il n’y a personne qui te veut du mal ici.
J’hésitais. A priori la voix n’avait rien d’agressif, mais après une telle expérience dans la bibliothèque, il me semblait que l’on allait me tomber dessus à tout instant. Après un certain temps, voyant que je ne sortais toujours pas, la voix reprit.
      
- Tu ne vas pas pouvoir rester cachée ici éternellement, d’autant que dans dix minutes les cours reprennent.
      
- …
      
- Ecoute, si tu sors maintenant, on a encore le temps de s’enfuir d’ici avant que les surveillants ne nous voient.
Je n’étais guère habituée à ce que l’on me parle avec tant de douceur. Je me laissais caresser par le chant de sa voix apaisante. Dans ma tête se dressa un exquis plan d’évasion en compagnie de cette jeune inconnue. Des velléités d’indépendance s’emparèrent de moi, exacerbées par un intense et urgent désir d’oxygène. Dictée par la curiosité, je pris mon courage à deux mains et déverrouilla la porte qui s’entrouvrit dans un grincement sinistre. Mes yeux étonnés découvrirent, derrière la frontière de bois, une jeune fille longiligne, tout de noir vêtu. Je reconnu l’une de ces jeunes qui étaient venus me libérer des griffes de Michael.
      
- Je m’appelle Solange, déclara la délicate inconnue, inclinant légèrement la tête pour me voir dans l’entrebâillement de la porte.
Solange. Un nom qui lui allait à ravir. Son visage était frappant de beauté. Ses yeux sombres, peints de noir, semblaient anormalement grands sur la pâle toile de son maigre visage.
Les vêtements qu’elle portait ne faisaient qu’accentuer cette douce blancheur qui conférait à la jeune fille une allure angélique, en dépit de la noirceur prédominante. Je ne pouvais rêver plus belle raison de prononcer mes premiers mots en ce lycée. Je m’avança hors de ma cachette.
      
- Emma, dis-je en guise de présentation.
Le son de ma voix, se répercuta sur les parois de la pièce, dévoilant ainsi ma si convoitée identité, semblant ravir mon interlocutrice qui me dévora du regard. Il se passa alors quelque chose d’aussi inattendu que de prodigieux. Je venais, pour la première fois de ma vie, d’accorder mon amitié à quelqu’un.

26 avril 2006

Cela faisait à présent une semaine que j’avais

Cela faisait à présent une semaine que j’avais été introduite dans mon lycée. Je n’avais toujours pas trouvé l’utilité de prononcer le moindre mot en ces lieux. Les professeurs s’étaient tous résolus à m’ignorer, au nom d’une prétendue pédagogie qui vise à ne pas déstabiliser l’élève en difficulté. J’éprouvais, à l’égard de cette sage décision, un profond sentiment de soulagement, et fut heureuse que Monsieur Hallegre ne compta pas parmi les enseignants. J’avais mis les bouchées doubles pour rattraper mon retard scolaire et atteindre à nouveau, dans le paysage scolaire, ce degré de transparence qui m’était si cher.
         
Finalement, au bout de trois semaines, je m’étais installée dans ma routine. Je parvenais même à ignorer les "Mouette" que l’on lançait sur mon passage - et les cris d’animaux qui les accompagnaient.

J’eus souhaité que cet état de grâce dure infiniment. Mais comme bien souvent lorsque l’on ronronne un peu trop devant la cheminée, la Vie vint en étouffer les flammes et vous déloger brusquement de votre repaire.
Etrangement, ce fut le professeur pour lequel j’avais le plus de sympathie qui bouleversa l’ordre établi. Ce fut le jour de la remise des compositions de littérature. Le sujet avait été la création, en alexandrins, d’un poème qui devait retranscrire le sentiment de spleen de Baudelaire. Comme à son habitude, Monsieur Martino resta silencieux derrière son bureau, attendant patiemment que l’agitation ambiante se calme. Après une minute ou deux, il consenti à prendre la parole.
      
- J’ai corrigé vos copies.
L’agitation repris dans l’assistance et il fallut à nouveau attendre une à deux minutes pour recouvrer le silence.
      
- Il y a du tout et du n’importe quoi, les notes vont de quatre à dix-neuf.
A nouveau une vague d’agitation. Des pronostiques fusaient. Comprenant que l’exaltation ne cesserait pas, le professeur enchaîna.
      
- Je vais vous les distribuer, mais avant, je souhaiterais vous lire un devoir qui a particulièrement retenu mon attention.
Le silence regagna aussitôt l’assemblée. Chacun semblait retenir son souffle, espérant sans doute être la personne citée.
Lorsque le professeur commença sa lecture, j’eus la sensation de chuter de trois étages. Mais qu’était-il entrain de faire, l’inconscient ? Moi qui pensais qu’il m’avait compris mieux que quiconque, qu’il savait que je ne souhaitais pour rien au monde attirer l’attention ! Le voilà qui dévoilait mon poème à toute la classe avec une telle impudeur que la situation en devint insoutenable. Je cru d’abord à un mauvais rêve. J’allais me réveiller dans mon lit et recommencer cette journée grotesque. Une bouffée de chaleur me saisi à mesure que ma gorge se resserrait. Puis il n’y eut plus de place en moi que pour la panique. Il me fallait fuir. Fuir au plus vite, feindre un oubli, une urgence, un malaise - qu’il ne serait bientôt plus besoin de feindre, quoi que ce soit pour évacuer les lieux.
Mais le poème fut très vite achevé. Monsieur Martino releva la tête. Chacun de mes camarades regardait autour de lui pour trouver un indice sur l’auteur du texte.
      
- Qu’avez-vous pensé de ce poème ?
Comble de l’horreur, il me faudrait maintenant subir en direct les railleries de mes camarades. L’une d’entre eux leva la main.
      
- Qui a écrit ça, Monsieur ?
      
- Vous le saurez dans une minute, j’aimerais d’abord connaître votre avis.
      
- Je suis sur que ce n’est pas d’un étudiant. C’est vous qui l’avez écrit, c’est ça ?
      
- Qu’est ce qui te fait penser que ce ne peut être la création de l’un d’entre vous ?
      
- Aucun élève de Première n’est capable d’écrire ça !
      
- Je regrette Alysson, mais l’auteur de ce poème est parmi vous.
A nouveau, les regards furetèrent dans la salle. Etrangement, la situation n’était pas celle que je redoutais. Personne ne sembla considérer un seul instant que l’œuvre pouvait provenir de la Mouette. Je reprenais peu à peu mes esprits, me redressant lentement sur ma chaise. J’avais le sentiment d’observer la situation comme si j’avais été extérieure à la foule, à l’abri de l’attention générale. Un faux sentiment de sécurité que je savais de courte durée, mais je caressais encore l’espoir ultime que Monsieur Martino saurait rester discret.
      
- J’aimerai que vous m’exposiez ce que ce texte vous inspire, reprit le professeur pour inciter les commentaires.

Après un moment d’hésitation, plusieurs élèves levèrent la main. Monsieur Martino leur donna la parole à tour de rôle.
      
- C’est triste.
      
- ça donne un sentiment de malaise
      
- On a l’impression que ça a été écrit avec douleur.
      
- C’est pour les dépressifs ce truc !
      
- Ouais ça donne envie de se tailler les veines !
      
- Moi je trouve ça très beau et très profond
      
- Oui c’est très mélancolique.
      
- Ca donne l’impression d’un truc assez intime
J’écoutais avec incrédulité les autres élèves débattre de mon œuvre. Ce fut un sentiment complexe, inédit. Un mélange de crainte et de fierté. J’étais mise à nue en public et l’on observait en détail toutes les parties de mon corps. Lorsqu’au bout d’un moment les remarques tournèrent en rond, le professeur reprit la discussion en main.
      
- Bien. Figurez-vous qu’en rassemblant toutes vos idées, on arrive à peu de choses près à la définition du spleen. J’espère que ce petit exercice oral aura éclairé certains d’entre vous qui, manifestement, n’ont pas compris l’objectif de ce devoir ou qui ont dû manquer les six dernières heures de cours. Je vais maintenant distribuer les copies.
      
- Et on ne peut pas savoir de qui est le texte ? demanda une jeune fille aux cheveux d’un blond d’or.
      
- Oui allez dénonce toi, reprit son voisin en s’adressant potentiellement à l’auteur. Il est bien écrit ton texte il n’y a rien à cacher !
Aussitôt, le brouhaha des conversations repris. Ce fut la première fois, en presque un mois de présence ici, que j’observais ainsi mes condisciples. Oh, bien sur, je les avais déjà tous vu, mais jamais je ne les avais regardé. Ce fut comme si, pour la première fois, la masse informe que je définissais jusque là comme une unité indissociable s’était soudain parcellée d’une vingtaine d’individus très distincts. Il y avait des blonds, des bruns, des roux. Des individus exubérants, d’autres plus timides, d’autres encore qui paraissaient absents. Je comptais plus de filles que de garçons.
Monsieur Martino, qui ne m’avait pas quitté du regard, paraissait à l’affût du moindre des mouvements qui laisserait transparaître mon état d’esprit. Il s’approcha alors silencieusement de moi et me tendis lentement ma copie sur laquelle se dessinait fièrement la note 19/20.
Les bruits s’apaisèrent en décrescendo à mesure que les élèves prenaient conscience de ce qu’il était entrain de se passer.
Je saisi ma composition, sans détourner mon regard de celui de mon correcteur. Mon cœur n’avait cessé de battre la chamade. Monsieur Martino distribua le reste des copies dans un calme inhabituel pour cette classe que j’avais toujours trouvé remuante. Durant le reste de l’heure, je pouvais percevoir de furtifs regards jetés en ma direction. Des regards que je ne parvenais pas à interpréter.
      
La classe fut relâchée quelques minutes avant la fin de l’heure. 
Je m’apprêtais à quitter la salle lorsque le professeur de littérature m’interpella :
      
- Mademoiselle Dupin, un instant s’il vous plait.
Je me raidis. Je ne m’étais jamais retrouvée en tête à tête avec un professeur auparavant. Je me retourna mais ne bougea pas d’un centimètre. Une fois que les derniers retardataires eurent quitté la salle, Monsieur Martino reprit.
      
- Approchez.
Puisqu’il le fallait, je m’exécutais.
      
-  Ce devoir était très bon. J’attends de vous que les prochains le soient tout autant.
      
- …
      
- J’attends également de vous un peu plus de participation en classe, ajouta-t-il.
J’hochais la tête en signe d’approbation et entrepris de sortir de la salle, croyant que le professeur en avait terminé avec moi.
      
- Emma !
Je fis volte-face, à deux pas de la porte. Aucune personne de cet établissement ne m’avait encore appelée par mon prénom. Ce fut un véritable choc, comme si, par ce simple fait de me nommer, Monsieur Martino m’avait insufflé une existence.
      
- Vous avez énormément de potentiel, reprit-il. Je n’admettrais pas qu’il soit gâché. J’exige que vous fassiez un peu plus que de la simple figuration dans la classe. Si vous n’acceptez pas ces conditions, autant ne plus venir à mes cours, est-ce bien clair ?
Après un court instant d’immobilité, j’acquiesçais avec le peu d’énergie qu’il me restait et faisant mine d’un peu plus de conviction. Je quittais la salle de classe en courant pour regagner le cours suivant.

26 avril 2006

Je rentrais à la maison après une journée de

Je rentrais à la maison après une journée de cours douloureuse. Le reste de ce qui fut mon premier jour ne s’était pas déroulé sans encombres. Chacun de mes professeurs avait tenté en vain de me faire parler, certains plus insistants et importuns que d’autres.
Ce ne faisait pas huit heures que j’avais fait mon entrée dans cet établissement que déjà ma popularité était immense. L’on m’avait affublé du surnom grotesque de "La muette" qui se transforma très vite en "La Mouette" qui devint à son tour "Mouette" tout court.
Ma vie allait-elle se résumer à côtoyer inlassablement les mêmes êtres si insipides et indignes d’intérêt ? J’étais seule face à mes professeurs, seule face à ma classe, seule face au monde entier.
J’étais montée directement à l’étage. Je n’avais encore prononcé aucun mot de toute la journée. Cela m’arrivait très souvent. J’ai toujours approuvé ce proverbe arabe selon lequel "si ce qu’on l’on a à dire n’est pas plus sage que le silence, mieux vaut encore se taire". Or mes pensées me semblaient justement dénuées de toute pertinence. Je n’avais jamais été bonne élève, je me contentais d’en faire suffisamment peu pour que les professeurs ne s’intéressent pas à moi et suffisamment assez pour que l’on me laisse en paix. Une élève invisible, parfaitement satisfaite de sa situation.
Je me souviens qu’en cette époque la Vie me semblait être une gigantesque farce. Il fallait se lever tous les matins, se plier à ces règles futiles, imposées par d’autres êtres humains, sans perspective d’un avenir meilleur. Je ne vivais pas, je survivais.
         Je venais d’aménager à Mérenvielle - un petit village non loin de Toulouse, depuis trois jours et déjà mon père m’avait envoyé au lycée. Il faut dire que la présence sous son toit d’une "paresseuse ne pensant qu’à dormir" l’insupportait. Je n’avais donc ma place nulle part. Ni en cours, ni chez moi. Ce n’était d’ailleurs pas chez moi. C’était chez lui, chez sa nouvelle femme et chez mes demi-frères. Moi, je n'étais qu'une tache dans le paysage si parfait de leur petite famille. Je savais pertinemment que ma belle-mère me détestait. Si j’avais été majeure, il y a bien longtemps que j’aurais été chassée du domicile. En attendant, le seul moyen qu'elle avait semblé trouver pour supporter ma pénible présence avait été de me détrôner de mon statut de membre de la famille, me réduisant à celui de bonne à tout faire. Elle paraissait trouver un malin plaisir à m’imposer toutes sortes de contraintes. Je devais tour à tour faire le ménage, la vaisselle, m’occuper de mes demi-frères, faire les courses… L’élucubration portait même jusqu’à ma soumission à des horaires parfaitement farfelus comme mon couché obligatoire à 20h. J’eus parfaitement pu surmonter ces artifices dérisoires s’il n’y avait eut que cela, mais je devais en plus supporter sur moi un regard lourd d’accusation. Moi, l’ultime trace du passé de mon père. Un passé où elle n’avait pas sa place, où elle n’avait pu intervenir pour le diriger comme elle se plaisait tant à le faire. L’idée même qu’il ait pu être heureux sans elle la rendait malade. Ainsi, quelques fois, lorsque ma soumission physique ne la contentait plus, elle déployait une imagination phénoménale pour m’humilier au plus haut point, ne trouvant satisfaction qu’une fois des larmes coulant sur mes joues.
Tout ce qu’il me restait était mon imagination. Elle était ma seule porte de sortie, mon garde-fou contre la folie qui me guettait. Parfois je m’imaginais être Cendrillon, attendant un prince charmant qui n’arrivait malheureusement jamais. Les histoires ne sont-elles pas sensées se terminer ainsi ? "Et ils vécurent heureux pour toujours…" ?
          
Je me demandais souvent pourquoi Lui me détestait tant, moi la chaire de sa chaire. La réponse me vint ce soir là. Pendant le repas, Papa et Magali étaient attablés, l’un face à l’autre. Mathieu, le cadet, siégeait en bout de table entre les deux, Jérémy, le plus insupportable de mes frères, à la droite de mon père, moi reléguée à l’extrême opposé. Le tableau était particulièrement révélateur.
Personne ne m’avait demandé comment s’était passé mon premier jour. Je ressentis plus que jamais un incontrôlable besoin d’amour. Il me prit l’envie de revoir maman. Après le repas, je quittais discrètement la table pour rejoindre ma chambre. J’avais sous mon lit un vieux carton poussiéreux dans lequel je conservais un amoncellement d’objets auxquels je tenais tout particulièrement. J’en extrayais un album de photographies que je n’avais plus ouvert depuis bien longtemps. Accroupie dans l’obscurité, je tournais page après page de mon passé avec Elle.
Je passais la soirée à La contempler intensément. Sur aucun de ces clichés Elle n’esquissait un sourire. Je me vis, petit bébé fragile dans ses bras de jeune maman. Elle devait avoir 17 ans. Etait-elle heureuse à cette époque ? Lui avais-je apporté ne serais-ce qu’un peu de bonheur dans sa vie si torturée ? Mon regard s’arrêta sur un portrait. Elle avait un regard si triste, si froid. Je constatais alors pour la première fois que je lui ressemblais. J’avais les mêmes yeux clairs, cette même chevelure en cascade sur mes hanches, cette même apparence frêle et pâle. Voilà donc pourquoi mon père me détestait tant. Je lui rappelais bien trop maman. Comment pouvait-il espérer l’oublier si moi, insolente que j’étais, je passai devant ses yeux tous les jours, portant le visage de celle qu’il avait aimé, si tant est qu’il l’eut aimé un jour.
Maman comme j’aurais aimé que tu sois encore là, comme les choses auraient été plus simples

25 avril 2006

Chapitre 1er

L’endroit était froid et austère. J’avais déjà eus cette impression lorsque j’étais venue faire mon inscription il y a une semaine. Cette vision d’un interminable couloir gris et désert me mettait étrangement mal à l’aise. Je m’y avançais d’un pas sentencieux en direction du bureau du proviseur, la dernière des portes. Il avait tenu à faire lui-même les présentations avec les autres élèves. Si l’on m’eut demandé mon avis, j’eus préféré intégrer le plus discrètement possible ma nouvelle classe et me fondre subrepticement dans la masse, mais l’on paru juger mon opinion aucunement digne d’intérêt. Il me faudrait donc porter un peu plus l’attention sur moi, si tant est qu’intégrer un lycée deux mois après la rentrée officielle n’eut pas suffisamment satisfait à cette condition. Je toquais à la porte et attendit que l’on m’invita à entrer.
       
- Ah, vous voilà ! Nous allons pouvoir y aller.
Celui que l’on nommait Monsieur Hallegre me parut très enthousiaste. L’idée qu’il s’était fait de m’introduire personnellement dans mon "nouvel environnement scolaire" semblait le rendre particulièrement joyeux. Je songeais alors que pour désirer se divertir ainsi, il devait manquer très sérieusement d’action. Sans doute avais-ce un rapport avec le fait que son bureau fut relégué au fin fond d’une aile abandonnée du lycée ?
       
- Avez-vous votre emploi du temps et vos affaires de la journée ? demanda l’homme en rassemblant les quelques affaires éparpillées sur son bureau.
J’acquiesçais d’un signe de tête.
       
- Très bien, suivez moi alors.
Il arborait un indécrochable sourire qui lui donnait plus une mine sournoise que l’air apaisant qu’il s’efforçait d’afficher. Tandis qu’il contournait son bureau pour m’ouvrir hâtivement la marche, je sentais monter en lui une excitation de petit garçon. N’ayant mot à ajouter, je consentis donc à le suivre vers ma fatale destinée.
Le sentiment qui grandissait en moi en cet instant n’avait rien de commun avec celui du proviseur. Cette situation inconfortable me rendait malade. J’avalais à grand-peine ma salive en tentant de maîtriser les soubresauts de mon corps devenu autonome.
Je fus conduite jusqu’au lieu de torture. Sans autre forme de procédure, et ne s’inquiétant pas outre mesure de mon état d’esprit, Monsieur Hallegre toqua sobrement à la porte, puis l’enfonça, sans même attendre d’y être prié. J’emboîtais son pas.
      
- Bonjour Monsieur Martino !
      
- Monsieur le Proviseur, répondit l’intéressé.
Les regards se posèrent d’abord sur le visage connu, puis dérivèrent sur moi. Mon cœur battait de plus en plus fort. A la vue du grand maître des lieux, les élèves se levèrent en un mouvement de foule. Déjà, les regards se croisèrent dans la salle et des messes basses se promenèrent à l’horizon.
      
- Vous pouvez vous rasseoir, dit le proviseur qui avait du mal à cacher son contentement de voir des élèves si bien dressés. J’aimerais votre attention s’il vous plait, poursuivit-il. Comme vous le savez sûrement, nous accueillons aujourd’hui une nouvelle élève parmi nous. Il s’agit de mademoiselle Dupin ici présente.
Je sentais mes joues inexorablement se teinter de rouge. J’inclinais légèrement la tête, permettant ainsi à mes longs cheveux de glisser par dessus mes épaules et de dissimuler au mieux mon visage écarlate.
      - Mais je ne vais pas faire les présentations, laissons-là se présenter elle-même, elle saura bien mieux le faire que moi !
Mon sang se figea dans mes veines. Que venait-il de dire ? Lui qui avait été si insistant pour me présenter officiellement, le voilà qui me jetais en pâture aux lions ! Je n’étais nullement préparée à cela. Un silence de mort empli la pièce, tandis que chacun des vingt-six élèves présents me transpercèrent de leurs regards acérés. Je n’entendais plus désormais que le battement assourdissant de mon cœur furieux. Aucun mot, aucune sonorité, même, ne pu échapper de mes lèvres.
      
- Et bien ? Vous n’avez rien à raconter à vos nouveaux camarades ?
Un léger rire s’échappa de l’assemblée. Ce n’était pas le mélange de plusieurs voix, mais bien un seul et même rire qui sonnait à l’unisson. Les spectateurs n’étaient qu’Un.
    
- Allo ? Vous m’entendez ? reprit Monsieur Hallegre
Nouveau rire dans l’auditoire, un peu plus sonore cette fois-ci. D’abord intrigué, le proviseur me laissa macérer dans ma torpeur une bonne minute avant de reprendre.
    
- Il m’avait pourtant semblé que vous saviez parler ?
Le rire se fit plus retentissant que jamais, semblant donner de l’inspiration à mon interlocuteur qui comprit en cet instant que ses paroles étaient tellement décalées qu’elles en étaient amusantes.
    
- On m’aurait donc menti ? poursuivit-il de manière très théâtrale.
L’hilarité reprit de plus bel. Il me vint à l’attention du chef d’établissement un sentiment de haine indéfinissable. Je compris que j’avais eus raison depuis le début. Ses airs d’hommes sympathiques n’étaient qu’un leurre pour endormir la méfiance... Il n’était, en réalité, qu’un être abject, dénué de délicatesse et de sens moral.
   
- Répétez après moi : "bon-jour", insista-t-il, non contant de sentir derrière lui la force d’une classe entière riant de ses pitoyables blagues.
Plus qu’effarée, j’étais outrée d’une telle attitude. Je relevais alors la tête vers mon bourreau, lui jetant un regard d’une noirceur telle qu’il n’en avait sans doute encore jamais vue car le sourire qu’il affichait depuis le début de notre entrevue s’effaça alors de son visage, laissant apercevoir de profondes rides que je n’avais, jusqu’alors, pas remarquées. Il se passa soudain quelque chose de bien étrange. Ce fut lui qui se retrouva dans l’incapacité de prononcer le moindre mot. Nous eûmes maintenu cette position si M. Martino n’était intervenu pour couper court à ce calvaire.
      
- Merci Monsieur Hallegre, dit-il. Nous n’allons pas vous retenir plus longtemps, nous savons que vous êtes très occupé.
Le proviseur sembla un peu pris au dépourvu. Il n’avait nullement l’intension de mettre un terme à ce petit jeu alors que sa cote de popularité auprès des élèves n’avait jamais été aussi haute.
      
- J’ai un moment, répondit-il, toujours sans détourner les yeux de mon regard foudroyant.
      - J’en conviens, mais j’ai encore de nombreux sujets à aborder avec ma classe avant la fin de l’heure et nous avons déjà suffisamment digresser pour aujourd’hui.
      
- Ah… oui, c’est vrai. Bon d’accord, dit-il toujours de cette intonation de petit garçon dont il faisait si piteusement usage.
Il me fit figure d’un enfant attristé à qui l’on viendrait de prendre son jouet. Je fus frappée par la pauvreté d’esprit de mon ennemi. J’en fus presque déçue, et je regrettais à présent de l’avoir laissé me ridiculiser. Comment se pouvait-il qu’un individu aussi misérable puisse être à la tête de tout un lycée ? Lorsqu’il quitta la salle, il eut un dernier regard en ma direction. J’eus l’impression de l’avoir déstabilisé. Au moins avais-je gagné ce bras de fer. Mais l’état de détresse dans lequel il m’avait plongée me perturba pour des heures. Il avait, pour sûr, fait de mon entrée au lycée un événement inoubliable, totalement à l’inverse de ce que j’avais secrètement espéré.
      
- Il y a une place au fond à droite, me murmura Monsieur Martino en me montrant l’emplacement d’un geste de la tête.
Sans plus attendre, je m’avançais dans l’allée, suivie du regard mi-amusé, mi-intrigué de mes nouveaux camarades dont il me faudrait dorénavant supporter la compagnie pour les sept mois à venir.
J’apprécia la discrétion de mon désormais professeur de littérature. Il avait repris le cours normal de son programme comme si de rien n’était, ignorant parfaitement ma présence. 

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25 avril 2006

Introduction (à venir)…

Introduction (à venir)

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