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EndlessStory
25 avril 2006

Chapitre 1er

L’endroit était froid et austère. J’avais déjà eus cette impression lorsque j’étais venue faire mon inscription il y a une semaine. Cette vision d’un interminable couloir gris et désert me mettait étrangement mal à l’aise. Je m’y avançais d’un pas sentencieux en direction du bureau du proviseur, la dernière des portes. Il avait tenu à faire lui-même les présentations avec les autres élèves. Si l’on m’eut demandé mon avis, j’eus préféré intégrer le plus discrètement possible ma nouvelle classe et me fondre subrepticement dans la masse, mais l’on paru juger mon opinion aucunement digne d’intérêt. Il me faudrait donc porter un peu plus l’attention sur moi, si tant est qu’intégrer un lycée deux mois après la rentrée officielle n’eut pas suffisamment satisfait à cette condition. Je toquais à la porte et attendit que l’on m’invita à entrer.
       
- Ah, vous voilà ! Nous allons pouvoir y aller.
Celui que l’on nommait Monsieur Hallegre me parut très enthousiaste. L’idée qu’il s’était fait de m’introduire personnellement dans mon "nouvel environnement scolaire" semblait le rendre particulièrement joyeux. Je songeais alors que pour désirer se divertir ainsi, il devait manquer très sérieusement d’action. Sans doute avais-ce un rapport avec le fait que son bureau fut relégué au fin fond d’une aile abandonnée du lycée ?
       
- Avez-vous votre emploi du temps et vos affaires de la journée ? demanda l’homme en rassemblant les quelques affaires éparpillées sur son bureau.
J’acquiesçais d’un signe de tête.
       
- Très bien, suivez moi alors.
Il arborait un indécrochable sourire qui lui donnait plus une mine sournoise que l’air apaisant qu’il s’efforçait d’afficher. Tandis qu’il contournait son bureau pour m’ouvrir hâtivement la marche, je sentais monter en lui une excitation de petit garçon. N’ayant mot à ajouter, je consentis donc à le suivre vers ma fatale destinée.
Le sentiment qui grandissait en moi en cet instant n’avait rien de commun avec celui du proviseur. Cette situation inconfortable me rendait malade. J’avalais à grand-peine ma salive en tentant de maîtriser les soubresauts de mon corps devenu autonome.
Je fus conduite jusqu’au lieu de torture. Sans autre forme de procédure, et ne s’inquiétant pas outre mesure de mon état d’esprit, Monsieur Hallegre toqua sobrement à la porte, puis l’enfonça, sans même attendre d’y être prié. J’emboîtais son pas.
      
- Bonjour Monsieur Martino !
      
- Monsieur le Proviseur, répondit l’intéressé.
Les regards se posèrent d’abord sur le visage connu, puis dérivèrent sur moi. Mon cœur battait de plus en plus fort. A la vue du grand maître des lieux, les élèves se levèrent en un mouvement de foule. Déjà, les regards se croisèrent dans la salle et des messes basses se promenèrent à l’horizon.
      
- Vous pouvez vous rasseoir, dit le proviseur qui avait du mal à cacher son contentement de voir des élèves si bien dressés. J’aimerais votre attention s’il vous plait, poursuivit-il. Comme vous le savez sûrement, nous accueillons aujourd’hui une nouvelle élève parmi nous. Il s’agit de mademoiselle Dupin ici présente.
Je sentais mes joues inexorablement se teinter de rouge. J’inclinais légèrement la tête, permettant ainsi à mes longs cheveux de glisser par dessus mes épaules et de dissimuler au mieux mon visage écarlate.
      - Mais je ne vais pas faire les présentations, laissons-là se présenter elle-même, elle saura bien mieux le faire que moi !
Mon sang se figea dans mes veines. Que venait-il de dire ? Lui qui avait été si insistant pour me présenter officiellement, le voilà qui me jetais en pâture aux lions ! Je n’étais nullement préparée à cela. Un silence de mort empli la pièce, tandis que chacun des vingt-six élèves présents me transpercèrent de leurs regards acérés. Je n’entendais plus désormais que le battement assourdissant de mon cœur furieux. Aucun mot, aucune sonorité, même, ne pu échapper de mes lèvres.
      
- Et bien ? Vous n’avez rien à raconter à vos nouveaux camarades ?
Un léger rire s’échappa de l’assemblée. Ce n’était pas le mélange de plusieurs voix, mais bien un seul et même rire qui sonnait à l’unisson. Les spectateurs n’étaient qu’Un.
    
- Allo ? Vous m’entendez ? reprit Monsieur Hallegre
Nouveau rire dans l’auditoire, un peu plus sonore cette fois-ci. D’abord intrigué, le proviseur me laissa macérer dans ma torpeur une bonne minute avant de reprendre.
    
- Il m’avait pourtant semblé que vous saviez parler ?
Le rire se fit plus retentissant que jamais, semblant donner de l’inspiration à mon interlocuteur qui comprit en cet instant que ses paroles étaient tellement décalées qu’elles en étaient amusantes.
    
- On m’aurait donc menti ? poursuivit-il de manière très théâtrale.
L’hilarité reprit de plus bel. Il me vint à l’attention du chef d’établissement un sentiment de haine indéfinissable. Je compris que j’avais eus raison depuis le début. Ses airs d’hommes sympathiques n’étaient qu’un leurre pour endormir la méfiance... Il n’était, en réalité, qu’un être abject, dénué de délicatesse et de sens moral.
   
- Répétez après moi : "bon-jour", insista-t-il, non contant de sentir derrière lui la force d’une classe entière riant de ses pitoyables blagues.
Plus qu’effarée, j’étais outrée d’une telle attitude. Je relevais alors la tête vers mon bourreau, lui jetant un regard d’une noirceur telle qu’il n’en avait sans doute encore jamais vue car le sourire qu’il affichait depuis le début de notre entrevue s’effaça alors de son visage, laissant apercevoir de profondes rides que je n’avais, jusqu’alors, pas remarquées. Il se passa soudain quelque chose de bien étrange. Ce fut lui qui se retrouva dans l’incapacité de prononcer le moindre mot. Nous eûmes maintenu cette position si M. Martino n’était intervenu pour couper court à ce calvaire.
      
- Merci Monsieur Hallegre, dit-il. Nous n’allons pas vous retenir plus longtemps, nous savons que vous êtes très occupé.
Le proviseur sembla un peu pris au dépourvu. Il n’avait nullement l’intension de mettre un terme à ce petit jeu alors que sa cote de popularité auprès des élèves n’avait jamais été aussi haute.
      
- J’ai un moment, répondit-il, toujours sans détourner les yeux de mon regard foudroyant.
      - J’en conviens, mais j’ai encore de nombreux sujets à aborder avec ma classe avant la fin de l’heure et nous avons déjà suffisamment digresser pour aujourd’hui.
      
- Ah… oui, c’est vrai. Bon d’accord, dit-il toujours de cette intonation de petit garçon dont il faisait si piteusement usage.
Il me fit figure d’un enfant attristé à qui l’on viendrait de prendre son jouet. Je fus frappée par la pauvreté d’esprit de mon ennemi. J’en fus presque déçue, et je regrettais à présent de l’avoir laissé me ridiculiser. Comment se pouvait-il qu’un individu aussi misérable puisse être à la tête de tout un lycée ? Lorsqu’il quitta la salle, il eut un dernier regard en ma direction. J’eus l’impression de l’avoir déstabilisé. Au moins avais-je gagné ce bras de fer. Mais l’état de détresse dans lequel il m’avait plongée me perturba pour des heures. Il avait, pour sûr, fait de mon entrée au lycée un événement inoubliable, totalement à l’inverse de ce que j’avais secrètement espéré.
      
- Il y a une place au fond à droite, me murmura Monsieur Martino en me montrant l’emplacement d’un geste de la tête.
Sans plus attendre, je m’avançais dans l’allée, suivie du regard mi-amusé, mi-intrigué de mes nouveaux camarades dont il me faudrait dorénavant supporter la compagnie pour les sept mois à venir.
J’apprécia la discrétion de mon désormais professeur de littérature. Il avait repris le cours normal de son programme comme si de rien n’était, ignorant parfaitement ma présence. 

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