Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
EndlessStory
2 mai 2006

Je suivais Solange à travers les buissons qui

Je suivais Solange à travers les buissons qui longeaient la clôture du lycée. C’était une journée plutôt ensoleillée pour un mois de décembre. Nous passâmes juste sous les fenêtres de Madame Linardt, mon professeur d’Histoire. Je jubilais à la pensée qu’elle allait débuter un cours auquel je ne participerai pas. Nous glissâmes discrètement le long du grillage jusqu’à un large entrebâillement au travers duquel nous nous faufilâmes. Nous étions enfin libres. Je regardais le soleil qui commençait déjà sa lente disparition derrière les frontières de l’horizon et je me sentais revivre. Je fermais les yeux un instant et pris une profonde inspiration pour me délecter de ces derniers rayons, plus assez chaud pour me réchauffer le corps mais bien assez pour ranimer mon cœur. Lorsque je les rouvris, je constatais que Solange me regardait intensément. Un peu gênée, je dis :
      - Et maintenant ?
      - Et maintenant tout dépend de ce que tu veux faire.
      - Je n’en ai pas la moindre idée.
      - C’est la première fois que tu sèches un cours ?
Et-ce que cela se voyait tant que ça ? Je n’étais pas une élève assidue mais je n’avais jamais osé m’enfuir de la sorte, je craignais trop les remontrances de mon père.
      - Oui, répondis-je en baissant les yeux.
      - Et bien en ce cas, suis-moi !
Ma complice me saisi la main et m’entraîna dans une nouvelle course folle. L’avantage de ce petit lycée était qu’il était entouré de nombreux champs de maïs. Disparaître était si simple que je me demandais pourquoi les autres élèves restaient sagement assis sur leurs bancs. Solange ne s’arrêta pas avant d’avoir traversé le premier champ. Lorsqu’elle ralenti la cadence, je compris où elle m’amenait. A cent mètres de là, se dressait un petit bois dont je n’avais jamais constaté l’existence auparavant. Toujours sans lâcher ma main, Solange s’enfonça dans l’obscurité des arbres. Je n’osa pas lui demander jusqu’où elle me mènerait et me contenta de la laisser me guider.
Nous ne mirent pas longtemps à regagner un groupe de personnes dont les visages ne m’étaient pas inconnus.
       - Ah Solange ! Tu as réussi à la convaincre ? Bravo, je n’y aurais pas cru !
Je reconnu le fameux Gautier de la bibliothèque.
      - Moi je savais qu’elle aurait envie de souffler un peu, répondit la jeune fille. Les gars, je vous présente Emma.
Chacune des quatre autres personnes présentes me salua.
      - Emma, voici Gautier, Thibaud, Matthieu et Josselin.
Ils étaient tous affairés à couper des branches et à les rassembler en un petit tas.
      - On a pour habitude de venir ici le soir après les cours, reprit-elle. Et… de temps en temps pendant les cours aussi, comme tu as pu le constater.
      - Tu es sûr que c’est une bonne idée de lui dire tout ça So ? dit le dénommé Thibaud. Et puis de l’avoir ramenée ici, je ne suis pas persuadé que c’était très malin non plus. Qui te dit qu’elle ne va pas aller raconter ça aux profs ou au proviseur, hein ?
      - Je ne crois sincèrement pas qu’elle le fera, reprit la douce Solange m’adressant un de ses apaisants sourires.
       - Je sais qu’elle ne parle pas mais tout de même…
       - Détrompe toi mon cher, Emma sait parler, et sans doute mieux que toi.
A ces mots, les quatre corbeaux relevèrent les yeux en ma direction. A nouveau je ressenti un inconfortable malaise. Comme il est douloureux de faire ses premiers pas dans le monde social.
       - Et lorsque tu auras quelque chose d’intelligent à lui dire, sans doute qu’elle te répondra ! reprit Solange.
Je n’en revenais pas. Cette fille semblait lire en moi. Elle avait repéré mon inconfort et avait immédiatement trouvé comment y parer. J’étais comme assistée dans ma phase de socialisation. Que rêver de mieux ?
Comme contentée de cette réponse, la bande se remit au travail. A mesure que les minutes passaient, je me sentais mieux. Il y avait une franche ambiance de camaraderie entre eux, et pour la première fois et même pour un court instant, j’étais heureuse d’en faire partie.
En plus de rassembler des branches pour ce que j’avais deviné être un feu, ils étaient entrain de lier entre eux divers morceaux de bois. Ma curiosité l’emporta alors.
       - Qu’est ce que vous faites au juste ? demandais-je à Solange.
A nouveaux les regards se posèrent sur moi, mais cette fois-ci, j’étais bien déterminée à les affronter. J’observais tour à tour mes interlocuteurs. Finalement, ce n’était pas si intimidant que cela. J’avais même l’impression d’avoir inversé la situation car ils affichaient tous un air bien plus ahuri que le mien.
       - En authentiques hommes virils qu’ils sont, railla Solange, les garçons ont décidé de construire une cabane dans les arbres.
      - Et en véridique petite peste, So aime se moquer de ses frères, repris Gautier sur le même ton taquin.
       - Ses frères ? dis-je d’un air surpris.
      - Nous nous connaissons tous depuis si longtemps que nous sommes devenu comme une famille. Nous avons grandi et changé ensemble, nous avons partagé de nombreuses choses... Mais aucun d’entre eux n’est véritablement de ma famille, expliqua Solange avant de se remettre au travail.
Je me demandais quelles sortes de choses ils avaient bien pu partager. Moi-même j’avais toujours fait mes propres expériences toutes seule. J’enviais Solange d’avoir une telle complicité avec autant de personnes. Je m’égaras dans mes pensées lorsque je constata que celui des garçon qui s'appelais Josselin ne m’avait pas lâché des yeux. Je me senti alors étrangement troublée. Ce fut un sentiment nouveau. Mon ventre sembla se nouer de l’intérieur et mon souffle se coupa.
       - Et euh… pourquoi vous habiller en noir de la sorte ?
Puisque j’étais lancée dans mes questions, autant continuer ! Au moins arriverais-je à détourner un tant soit peu l’attention de moi. Les cinq amis échangèrent de furtifs regards, puis ce fut Gautier qui prit la parole.
       - C’est un choix que l’on a fait au collège. Mais on te racontera ça une autre fois. Peux-tu m’aider à allumer le feu s’il te plait ? demanda-t-il.
Je m’exécutais. Je n’avais pas la moindre idée de la manière dont il fallait procéder. J’observais avec beaucoup d’attention et me contentais d’obéir aux requêtes de mon improvisé professeur en démarrage de feu. J’avais l’impression de tout faire de travers. Gautier m’assurait cependant du contraire. Au bout de dix minutes d'efforts, un joli feu brûlait au centre du cercle que nous avions formé. Nous nous assîmes en silence autour de notre œuvre et je me perdis un instant dans la danse hypnotique des flammes.
      - Tu viendras demain soir ? me demanda une petite voix qui me sorti de mes songes.
      - Moi ?
      - Oui, comme je te l’ai dit nous venons ici tous les soirs. C’est l’occasion de passer un peu de temps ensemble en dehors des cours.
      - Je… je ne sais pas encore. D’ordinaire je rentre tout de suite après les cours.
Soudain, je pris conscience que la nuit était tombée. J’eu un sursaut qui me dressa sur mes pieds.
      - Mon Dieu, quelle heure est-il ? demandais-je catastrophée.
      - Il va être dix-huit heures trente, me répondit Matthieu.
Je réalisais que les cours étaient finis depuis une demie heure et que je n’étais toujours pas en route pour chez moi. J’allais être terriblement en retard. Je saisi mon sac avant de dire :
      - Je suis désolée, je dois vous laisser.
      - Tu t’en vas déjà ? me demanda Solange d’un air déçu.
      - Oui, tu ne comprends pas je suis en retard !
      - Laisse nous au moins t’accompagner, dit Gautier.
      - Non !
Ce "non" retenti plus fort que je ne l’aurais voulu. Il est certain que si mon père me voyait arriver en retard et accompagnée d’une bande de cinq jeunes vêtus de noir, j’allais devoir passer toute la soirée à m’expliquer et le reste de ma vie enfermée dans ma chambre. Je tentais de me calmer pour cacher mon désarroi.

      - Non, c’est gentil mais j’irai plus vite en courant, dis-je.
      - Tu es sûre ?
      - Oui, merci.
Je m’apprêtais à partir quand je me retourna une dernière fois vers mes nouveaux compagnons et leur dit à nouveau :
      - Merci.
Après quoi je couru du plus vite que je pu jusque chez moi.

J’espérais que personne ne remarquerait mon retard. Et bien étrangement, lorsque je retrais ce soir là, papa et Magali étaient en grande discussion avec la voisine. Il me serait donc plus facile de monter discrètement dans ma chambre et prétendre y avoir été depuis toujours. Je me faufilais délicatement jusqu’aux escaliers que je gravis à pas de loups pour enfin arriver à ma chambre promise. Je m’avachi sur le lit, pour savourer mon furtif soulagement. Evidement, les choses auraient été plus simple si je n’avais eu pour demi-frère un horrible petit cancrelat dont le but ultime de l’existence était de me voir punie par sa très précieuse mère.
      - C’est à cette heure-ci que tu rentres ?
Je me relevais brusquement.
      - De quoi je me mêle ? Sors de ma chambre !
      - Tu ferais mieux de me parler sur un autre ton si tu ne veux pas que j’aille raconter à papa et maman que tu viens tout juste de rentrer !
      - Nous savons tous les deux que tu le feras de toute manière, alors peu importe. Sors de ma chambre maintenant.
      - C’est vrai, je le ferais de toute façon.
S’il existait quelque part un classement des dix personnes les plus exaspérantes au monde, Jérémy figurerait sans aucun doute en tête de liste. A peine l’avais-je prié de quitter les lieux que déjà il vint s’asseoir à mes côtés sur le lit. Après les émotions de la journée je ne rêvais que d’une chose, m’allonger et me retrouver seule avec moi-même pour faire le point.
      - Quoi encore ? demandais-je d’une voix lasse.
      - Où tu étais ?
Je décidais de ne pas répondre à l’importun. Le grand avantage avec Jérémy est qu’il perd très vite patience.
      - T’es aller recommencer tes conneries, hein ?
Silence de mort. Je décidais d’avoir recours à l’une des occupations détestées de mon petit frère : étudier. Je m’assis à mon minuscule bureau et ouvrit le premier livre de cours qui me tomba sous la main. Par chance, il s’agissait du manuel d’histoire, l’une des matières que Jérémy trouvait les plus repoussantes. Il ne mit pas longtemps à décamper.
      - De toute façon je vais le dire. Dit-il en fermant la porte de ma chambre.
Enfin seule. J’abandonnais mes cahiers pour m’allonger à nouveau sur le lit. Résumons. En l’espace de quelques heures j’avais ressentis un dégoût des autres m’ayant menée au bord du vomissement et un désir d’amitié tel que je n’en avais jamais ressenti. Deux sentiments si diamétralement opposés et pourtant si présent en moi en cet instant. De par le bon comme le mauvais aspect de cette journée, je me sentais vivre.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité