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EndlessStory
26 avril 2006

Je rentrais à la maison après une journée de

Je rentrais à la maison après une journée de cours douloureuse. Le reste de ce qui fut mon premier jour ne s’était pas déroulé sans encombres. Chacun de mes professeurs avait tenté en vain de me faire parler, certains plus insistants et importuns que d’autres.
Ce ne faisait pas huit heures que j’avais fait mon entrée dans cet établissement que déjà ma popularité était immense. L’on m’avait affublé du surnom grotesque de "La muette" qui se transforma très vite en "La Mouette" qui devint à son tour "Mouette" tout court.
Ma vie allait-elle se résumer à côtoyer inlassablement les mêmes êtres si insipides et indignes d’intérêt ? J’étais seule face à mes professeurs, seule face à ma classe, seule face au monde entier.
J’étais montée directement à l’étage. Je n’avais encore prononcé aucun mot de toute la journée. Cela m’arrivait très souvent. J’ai toujours approuvé ce proverbe arabe selon lequel "si ce qu’on l’on a à dire n’est pas plus sage que le silence, mieux vaut encore se taire". Or mes pensées me semblaient justement dénuées de toute pertinence. Je n’avais jamais été bonne élève, je me contentais d’en faire suffisamment peu pour que les professeurs ne s’intéressent pas à moi et suffisamment assez pour que l’on me laisse en paix. Une élève invisible, parfaitement satisfaite de sa situation.
Je me souviens qu’en cette époque la Vie me semblait être une gigantesque farce. Il fallait se lever tous les matins, se plier à ces règles futiles, imposées par d’autres êtres humains, sans perspective d’un avenir meilleur. Je ne vivais pas, je survivais.
         Je venais d’aménager à Mérenvielle - un petit village non loin de Toulouse, depuis trois jours et déjà mon père m’avait envoyé au lycée. Il faut dire que la présence sous son toit d’une "paresseuse ne pensant qu’à dormir" l’insupportait. Je n’avais donc ma place nulle part. Ni en cours, ni chez moi. Ce n’était d’ailleurs pas chez moi. C’était chez lui, chez sa nouvelle femme et chez mes demi-frères. Moi, je n'étais qu'une tache dans le paysage si parfait de leur petite famille. Je savais pertinemment que ma belle-mère me détestait. Si j’avais été majeure, il y a bien longtemps que j’aurais été chassée du domicile. En attendant, le seul moyen qu'elle avait semblé trouver pour supporter ma pénible présence avait été de me détrôner de mon statut de membre de la famille, me réduisant à celui de bonne à tout faire. Elle paraissait trouver un malin plaisir à m’imposer toutes sortes de contraintes. Je devais tour à tour faire le ménage, la vaisselle, m’occuper de mes demi-frères, faire les courses… L’élucubration portait même jusqu’à ma soumission à des horaires parfaitement farfelus comme mon couché obligatoire à 20h. J’eus parfaitement pu surmonter ces artifices dérisoires s’il n’y avait eut que cela, mais je devais en plus supporter sur moi un regard lourd d’accusation. Moi, l’ultime trace du passé de mon père. Un passé où elle n’avait pas sa place, où elle n’avait pu intervenir pour le diriger comme elle se plaisait tant à le faire. L’idée même qu’il ait pu être heureux sans elle la rendait malade. Ainsi, quelques fois, lorsque ma soumission physique ne la contentait plus, elle déployait une imagination phénoménale pour m’humilier au plus haut point, ne trouvant satisfaction qu’une fois des larmes coulant sur mes joues.
Tout ce qu’il me restait était mon imagination. Elle était ma seule porte de sortie, mon garde-fou contre la folie qui me guettait. Parfois je m’imaginais être Cendrillon, attendant un prince charmant qui n’arrivait malheureusement jamais. Les histoires ne sont-elles pas sensées se terminer ainsi ? "Et ils vécurent heureux pour toujours…" ?
          
Je me demandais souvent pourquoi Lui me détestait tant, moi la chaire de sa chaire. La réponse me vint ce soir là. Pendant le repas, Papa et Magali étaient attablés, l’un face à l’autre. Mathieu, le cadet, siégeait en bout de table entre les deux, Jérémy, le plus insupportable de mes frères, à la droite de mon père, moi reléguée à l’extrême opposé. Le tableau était particulièrement révélateur.
Personne ne m’avait demandé comment s’était passé mon premier jour. Je ressentis plus que jamais un incontrôlable besoin d’amour. Il me prit l’envie de revoir maman. Après le repas, je quittais discrètement la table pour rejoindre ma chambre. J’avais sous mon lit un vieux carton poussiéreux dans lequel je conservais un amoncellement d’objets auxquels je tenais tout particulièrement. J’en extrayais un album de photographies que je n’avais plus ouvert depuis bien longtemps. Accroupie dans l’obscurité, je tournais page après page de mon passé avec Elle.
Je passais la soirée à La contempler intensément. Sur aucun de ces clichés Elle n’esquissait un sourire. Je me vis, petit bébé fragile dans ses bras de jeune maman. Elle devait avoir 17 ans. Etait-elle heureuse à cette époque ? Lui avais-je apporté ne serais-ce qu’un peu de bonheur dans sa vie si torturée ? Mon regard s’arrêta sur un portrait. Elle avait un regard si triste, si froid. Je constatais alors pour la première fois que je lui ressemblais. J’avais les mêmes yeux clairs, cette même chevelure en cascade sur mes hanches, cette même apparence frêle et pâle. Voilà donc pourquoi mon père me détestait tant. Je lui rappelais bien trop maman. Comment pouvait-il espérer l’oublier si moi, insolente que j’étais, je passai devant ses yeux tous les jours, portant le visage de celle qu’il avait aimé, si tant est qu’il l’eut aimé un jour.
Maman comme j’aurais aimé que tu sois encore là, comme les choses auraient été plus simples

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