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EndlessStory
26 avril 2006

Comme je me l’étais imaginé, cet événement allait

Comme je me l’étais imaginé, cet événement allait bouleverser le cours de ma petite vie scolaire. Jamais je ne m’étais imaginé pouvoir autant attirer l’attention. Jamais je n’eus douté que je pusse être un sujet captivant au point de défrayer de fiévreuses rumeurs. Il est inquiétant de constater à quel point les informations se propagent vites, surtout dans un petit établissement où il ne se passait manifestement jamais rien d’exceptionnel. En l’espace de quelques heures, la nouvelle de mon génie littéraire avait fait le tour du lycée. "Elle ne sait pas parler mais elle écrit !" S’en suivirent aussitôt d’incroyables légendes à mon sujet. J’avais tour a tour le rôle de bizarrerie écrivant des textes que seuls les tordus d’esprit pouvaient composer, ou de prétentieuse intellectuelle qui cherchait à ménager ses effets en refusant la parole à ses condisciples. Je ne savais exactement de laquelle ces identités je préférais me vêtir. D’aucune sans doute. Mais ce que je savais déjà, c’était que ma si précieuse paix ne serait plus envisageable désormais.
         
Deux jours plus tard, alors que mon professeur d’anglais avait eu la merveilleuse idée d’être absent, je décidais de profiter des deux heures qui m’étaient accordées pour me rendre à la bibliothèque du lycée. Je m’étais installée à l’une des tables les plus à l’écart des autres élèves. La remarque de Monsieur Martino m’avait perturbée. Je décidais donc d’approfondir mes connaissances en genres et registres littéraires lorsque je découvris parmi les rayons, le recueil Les Fleurs Du Mal de Charles Baudelaire. J’en ouvris les premières pages et me laissa littéralement emporter par la lecture, oubliant le monde qui m’entourait. Je découvris que les mots ont parfois une réelle puissance. Certaines de ces compositions me transpercèrent le cœur tant je cru m’y reconnaître.
         
         
Espérer passer inaperçue parmi des étudiants se connaissant déjà par coeur est un bien vain dessein, à plus forte raison lorsque vous êtes le sujet de discussion favori du moment. Arriva ce qui devait arriver. Un élève de l’autre classe de première L du lycée, la 1L1, et que je ne connaissais pas le moins du monde, vint me trouver, escorté par deux de ses amis.
      
- Je suis perplexe, dit-il pour toute introduction de conversation.
Je détachais mes yeux du livre pour les pointer sur l’intrus mais ne répondis rien, espérant qu’il finirait par se décourager et disparaître. Mais ce stratagème ne paru pas fonctionner. Le jeune homme repris.
      
- Oui je suis perplexe. Vois tu, les 1L2 sont passés maîtres dans l’art des rumeurs infondées et je doute que celles te concernant puissent être exacte.
Je ne répondais toujours pas. Je n’avais cependant pas détourné mes yeux de mon interlocuteur. J’étais passée maîtresse dans l’art de déstabiliser par le regard. Personne ne semblait résister à l’imperturbabilité de mes yeux d’un bleu pastel. Après un instant de silence, l’importun repris la parole.
      
- Oui c’est bien ce qui me semblait… une fille qui ne parle pas n’est logiquement pas capable d’écrire un truc aussi complexe qu’un poème.
Raisonnement qui me paru d’un ridicule foudroyant. Qui d’autre, mieux qu’une personne ne s’exprimant jamais, serait mieux à même d’écrire les textes les plus emprunts de cette passion propice à la poésie ? Lorsque je prenais la plume, les barrières du silence tombaient, et tous les mots réprimés au fond de moi pouvaient alors librement, et sans retenue, se répandre sur le papier. C’était une autre de mes échappatoires. Si je n’avais eu peur que Magali ou papa ne découvre mes oeuvres j’aurais depuis longtemps écrit des tonnes et des tonnes de récits. Ma contrariété intérieure dû se lire sur mon visage, car mon interlocuteur afficha dès lors un petit sourire insupportable. Il reprit la parole.
      
- Certains disent que si tu ne parles pas, c’est que tu n’as pas de langue.
J’haussais un sourcil mi-amusé, mi-provocateur.
    
- Je m’appelle Michael, mais tu peux m’appeler Mika, dit le jeune homme en tendant une main amicale. Tu ne veux pas qu’on discute un peu tous les deux ? Histoire que je démantèle cette rumeur stupide ?
Mon visage criait "pour qui te prends-tu ? Penses-tu vraiment que je vais te faire cet honneur ?".
      
- Mouais, tu n’as pas l’air très décidée, repris Michael en retirant sa main. C’est dommage vois-tu, car moi j’ai tout mon temps. Plus longtemps tu mettras à te décider, plus longtemps tu devras supporter ma présence.
Cette situation commençait déjà à m’ennuyer. Et puis cette manière qu’il avait de dire "vois-tu" à chaque phrase, comme si en plus d’être muette j’avais été aveugle ! Tout en lui me crispait. Je décidais de faire le mur. Il finirait par se lasser avant moi.

Mais c
’était sans compter le degré de patience de mon interlocuteur. Ou plutôt, sans compter sa prodigieuse capacité à rendre tout ce qu’il faisait ou touchait d’un agacement au-delà du concevable. J’eus beaucoup de mal à contenir mon exaspération. Après pas loin de dix minutes d’immobilité, j’entrepris d’ignorer superbement l’intrus et de poursuivre ma lecture là où je l’avais interrompue. Mais Michael ne le voyait pas de cet œil. Il me prit brusquement l’ouvrage des mains sans que je ne pu faire quoi que ce fut. Se redressant en même temps que moi, il leva une main pour mettre le livre hors d’atteinte de mes petits bras. Il semblait à présent jubiler de son acte. Il était persuadé d’avoir trouvé moyen de parvenir à ses fins. Un plaisir qu’il eut du mal à dissimuler.
      
- Si tu veux le récupérer, ma belle, il va falloir me le demander de vive voix, vois-tu ?
Le bellâtre semblait ne pas revenir de la pertinence de cette situation et ne pouvait s’empêcher de sourire bêtement. Je rageais. C’était assez. Il m’avait suffisamment mené en bateau, l’heure était venue de quitter les lieux.
J’attrapa mon sac et entrepris de me diriger vers le couloir principal de la bibliothèque. Mais une fois encore, l’on interrompit mon entreprise. Michael me saisi brusquement le bras, forçant mon corps à effectuer un demi-tour qui m’arracha littéralement l’épaule et éjecta mon sac qui glissa au loin. Dans un même temps, ses acolytes, dont je compris soudain l’utilité, virent se positionner derrière moi, m’empêchant de gagner la sortie et dérobant, par la même occasion, la scène aux yeux des autres élèves. Je commençais à regretter de ne m’être installée plus près du bureau de la bibliothécaire. Si je n’avais été aussi bête, mes tourmenteurs ne m’auraient sans doute jamais abordée.
Michael ne m’avait toujours pas relâché le bras. Mon air troublé sembla lui donné de l’inspiration. Il me projeta alors énergiquement contre une étagère dont la surface bosselée pénétrera douloureusement ma chair. Je laissais échapper un cri de souffrance. J’étais désemparée, le peu de sentiment de confiance que j’avais ressenti ces derniers jours s’envola aussitôt. Comble de l’horreur, le son que ma bouche trahit eut un effet inattendu sur mon bourreau. Ce fut comme s’il prit soudain conscience de la supériorité de sa force sur la mienne. Il sembla savourer ma soumission au plus haut point. Son sourire amusé disparu alors. Il affichait désormais un air étrange et vide. Sa respiration se fit plus haletante, ses mains, plus brusques que jamais, se resserrèrent avec force autour de mes poignets que le jeune homme releva au dessus de ma tête comme s’il avait s’agit de vulgaires brindilles. Son visage n’était plus qu’à quelques centimètres du mien, je pouvais sentir son souffle sur ma peau tandis qu’il chuchotait :
    
- Est-ce bien un cri que j’ai entendu ?
Il resserra ses mains de plus belle et secoua à nouveau mon corps fragile contre le rayonnage, espérant ardemment m’extirper un nouveau son. Ma tête heurta l’étagère du haut en un bruit sourd. Je plissais yeux et lèvres pour m’empêcher de crier. Il avait dors et déjà gagné. Tant que je ne disais rien, mon corps était son objet. Si j’ouvrais la bouche, en revanche, il obtiendrait ce qu’il était venu chercher.
      
- Tu vas m’obliger à trouver la réponse par moi-même, dit-il.
En un quart de seconde, ses lèvres se retrouvèrent collées aux miennes et une langue épaisse et grossière forçait l’entrée de ma bouche. Je laissais échapper un nouveau cri d’effroi, étouffé par cet antre immense gobant tout sur son passage. A force de débattements, mes mains recouvrèrent leur liberté et me permirent de repousser mon agresseur un court instant. Nos lèvres se séparèrent, mais la force de mon adversaire était de loin supérieure à la mienne. Semblant amusé de me voir me débattre de manière si insignifiante, il s’empara à nouveau de mes poignets avec une facilité déconcertante. Tel un marionnettiste, il me fit faire un nouveau demi-tour qui m’immobilisa dos contre son torse. Il m’était impossible de bouger. Ma rage s’exerça dans le vide. Je me secouais, je griffais, je donnais des coups d’épaule et de tête, mais rien ne paru perturber le jeune homme. Je pu l’entendre humer mes cheveux avec un gémissement de délectation. J’en eus des frissons de dégoût dans tout le corps. En cet instant, j’eus donné n’importe quoi pour que cette situation cesse.

S’il est vrai que Dieu existe, Il choisi ce moment précis pour me le prouver. Sans que je ne comprenne comment, un groupe de cinq personnes habillées d’un noir ébène, firent irruption entre les étalages. Les deux gorilles de Michael qui semblaient se régaler de la scène autant que lui, s’écartèrent alors, pris au dépourvu, lorsque une voix grave raisonna.
      
- Lâche-là Michael.
L’intéressé sursauta et se retourna vers l’interlocuteur, toujours sans lâcher prise.
      
- Tien, Gautier, voyez-vous ça !
      
- Je te conseille de la lâcher immédiatement…
      
- Ou sinon quoi ? Tu vas invoquer Satan pour qu’il m’entraîne aux enfers ?
Il éclata d’un rire gras, suivit en cœur par ses deux acolytes. Mais les cinq corbeaux, eux, ne riaient pas. Leurs yeux cernés de noir criblaient les trois jeunes hommes. Il y avait dans leurs regards quelque chose de terrifiant qui sembla rapidement calmer les ardeurs de mes agresseurs. Je remarquais alors que mon tortionnaire desserrait inconsciemment son étreinte et j’en profitais pour me libérer. Je m’en écarta le plus possible, attendant avec raideur de voir ce qui allait suivre. Michael semblait furieux comme un chat à qui l’on aurait retiré la souris des pattes. Il n’osa cependant s’interposer à cette bande de jeunes aux allures bien inquiétantes.
      
- Qu’est-ce que tu croyais que j’allais lui faire, hein ? On s’amusait, rien de plus, il faut apprendre à te détendre mon vieux !
      
- Je ne prétends pas savoir ce qui se passe dans ta tête de tordu, "Mika", répondit la voix calme du dénommé Gautier, accentuant avec ironie le sobriquet ridicule de Michael.
J’observais la scène d’un air incrédule. Je ne savais guère si je devais être heureuse ou dépitée de la tournure des choses. Mon cœur battait si fort que, par réflexe, comme pour l’empêcher de jaillir hors de mon corps, je pressais ma main sur ma poitrine. Ma respiration ne recouvra pas son rythme normal. J’avais l’impression d’avoir couru un marathon. J’observais Michael s’éloigner, puis sortir de la bibliothèque, ses deux amis sur ses talons. Puis je constatais cinq paires d’yeux m’examinant méticuleusement. Sans attendre mon reste, je saisi mon sac et je couru hors de la bibliothèque, tout droit jusqu’aux premières toilettes dames venues.

Ì  Ì  Ì


            Je m’étais enfermée dans une cabine des waters, adossée contre la porte, me sentant prête à vomir à tout instant. Je ne pu empêcher des larmes de déborder de mes yeux et n’arrivais pas non plus à calmer les palpitations de mon cœur. Après quelques minutes de profondes inspirations où je tentais de retrouver contenance, je vis un paquet de mouchoir glisser sous la porte, juste entre mes pieds. Je restais figée quelques minutes, telle une proie qu’un vautour aurait repéré, attendant ma sentence avec une digne résignation. Une voix de l’autre côté m’adressa alors la parole.
      
- Tu peux le garder. Mais tu devrais sortir, tu vas finir par étouffer là dedans.
C’était une voix douce et suave qui me parut appartenir à une petite fille. Quelque peu rassurée par ce timbre ténu, je ramassa le paquet de mouchoir et en préleva un qui vint essuyer mes peines.
      
- Tu ne veux pas sortir de là ? Nous ne sommes que toutes les deux, il n’y a personne qui te veut du mal ici.
J’hésitais. A priori la voix n’avait rien d’agressif, mais après une telle expérience dans la bibliothèque, il me semblait que l’on allait me tomber dessus à tout instant. Après un certain temps, voyant que je ne sortais toujours pas, la voix reprit.
      
- Tu ne vas pas pouvoir rester cachée ici éternellement, d’autant que dans dix minutes les cours reprennent.
      
- …
      
- Ecoute, si tu sors maintenant, on a encore le temps de s’enfuir d’ici avant que les surveillants ne nous voient.
Je n’étais guère habituée à ce que l’on me parle avec tant de douceur. Je me laissais caresser par le chant de sa voix apaisante. Dans ma tête se dressa un exquis plan d’évasion en compagnie de cette jeune inconnue. Des velléités d’indépendance s’emparèrent de moi, exacerbées par un intense et urgent désir d’oxygène. Dictée par la curiosité, je pris mon courage à deux mains et déverrouilla la porte qui s’entrouvrit dans un grincement sinistre. Mes yeux étonnés découvrirent, derrière la frontière de bois, une jeune fille longiligne, tout de noir vêtu. Je reconnu l’une de ces jeunes qui étaient venus me libérer des griffes de Michael.
      
- Je m’appelle Solange, déclara la délicate inconnue, inclinant légèrement la tête pour me voir dans l’entrebâillement de la porte.
Solange. Un nom qui lui allait à ravir. Son visage était frappant de beauté. Ses yeux sombres, peints de noir, semblaient anormalement grands sur la pâle toile de son maigre visage.
Les vêtements qu’elle portait ne faisaient qu’accentuer cette douce blancheur qui conférait à la jeune fille une allure angélique, en dépit de la noirceur prédominante. Je ne pouvais rêver plus belle raison de prononcer mes premiers mots en ce lycée. Je m’avança hors de ma cachette.
      
- Emma, dis-je en guise de présentation.
Le son de ma voix, se répercuta sur les parois de la pièce, dévoilant ainsi ma si convoitée identité, semblant ravir mon interlocutrice qui me dévora du regard. Il se passa alors quelque chose d’aussi inattendu que de prodigieux. Je venais, pour la première fois de ma vie, d’accorder mon amitié à quelqu’un.

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